samedi 19 octobre 2013

Fatalité



Le bain dans cet hôtel avait eu l'effet d'un Eurêka sur moi. Je devais m'y résoudre : Les femmes partent toutes un jour.

Anne l'avait bien fait, après quinze années de mariage. 

Un homme lui tournait autour. Un journaliste littéraire qui frisait la soixantaine. Même sous le poids des signes avant-coureurs de la vieillesse, il avait l'assurance de séduire une femme jolie, attirante et sensuelle, prête à choisir un ailleurs qu'elle espérait meilleur. Anne, somme toute. 

-"Antoine est plus Rock'n'roll que toi. C'est ça qui te dérange ? Que quelqu'un soit plus quelque chose que toi? Daniel, dis moi... Cela te semble impossible, n'est-ce pas ?"

Je ne voulais pas répondre. Je cherchais surtout à ne rien oublier de ce que nous avions été l'un pour l'autre.


Je l'avais rencontrée pour la première fois, dans une librairie rennaise, alors que je dédicaçais mon dernier roman. Je la surpris en train d’apposer des post-it® sur des livres et décidai de la suivre.

Etant donné sa tenue, je compris vite qu’elle n’était pas une employée de l’endroit. Elle sifflotait, vêtue d'une robe de flamenca. On aurait dit qu'elle dansait au milieu des rayons, des papillons au bout des doigts. 

Devant une pile de livres consacrés au cinéma, je parvins à lire ce qu'elle venait de coller, inscrit au feutre rouge : "N’achetez pas ce livre". 

S'apercevant de ma présence, elle se retourna.

-"Il ne faut pas s’intéresser au cinéma, la vie est bien plus enrichissante. Je suis certaine que vous êtes d'accord avec moi."

Depuis cette phrase, j'avais été d'accord sur tout.  Il n'y a pas si longtemps, elle décidait encore des films que nous n'irions pas voir. Pour un nombre incalculable de sujets, je la suivais aveuglément.

Il n'y avait que dans notre chambre à coucher, que les rôles étaient inversés : c'était les yeux bandés qu'elle me livrait sa plus charnelle intimité.

Chaque Saint-Valentin, je lui offrais un jeu de post-it®, sur lesquels, je faisais imprimer de nouveaux arguments de non-vente. Cette année, elle avait eu le choix entre "Lire de la poésie rend fou" et "Merci au nègre qui a écrit ce livre".

Le dernier jour où je la vis, elle se préparait pour sortir seule. J'étais déchiré de regret alors qu'elle mettait du parfum dans ses cheveux, qu'un autre que moi viendrait humer bientôt.

Je pensai à voix haute :
-"Faut-il que tout s'arrête ainsi ?" 

Elle décida de la réponse à ma question, se saisissant de tous les post-it® qu'elle trouva dans l'appartement :
-"Faut-il que tout commence ainsi..." 









3 commentaires:

  1. Eh la Baronne, y'a un marquis post soixante-hussard qui me suit ici...un proche parent peut-être ?
    J'ai un peu remasterisé une phrase de lui, dans cet article (mais où, mais où ?). Il le sait mais s'il me fait mettre en prison pour plagiat et bien, comme pour l'hôpital psy, que personne ne m'envoie de Duroy par colis postal, je ne les lirai pas :)

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  2. Comme c'est étrange... C'est dans un bain que j'aime lire et je dois dire qu'en ce moment mon Duroy® m'oblige à remplacer beaucoup de douches par des bains !!!
    Bravo pour cette nouvelle page, mais je me refuse de croire à la fatalité. A tout moment on peut changer le braquet.
    signé : La négresse "noire, noire" alias K. L'Aristo

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  3. Tu sais la Baronne, les sels de bain ça ne se sniff pas ;) ..
    "Fais gaffe quand même..." comme aurait dit l'autre Daniel D. (le vrai, le seul, l'unique...). Je ne crois pas à la fatalité non plus mais parfois "C'était bien mieux avant" : http://www.youtube.com/watch?v=luSJuyDjzgw

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