mardi 15 octobre 2013

Evidence


Tout Daniel Duroy tournait autour de Duroy. D'ailleurs on ne disait plus son prénom mais Duroy et rien d'autre.

Il était devenu comme une marque déposée. 

On disait : "T'as fini ton Duroy®" comme on aurait dit "Tu me prêtes ton Bic®?"

Cela aurait pu être le signe d'une certaine forme de réussite dans le métier, mais certains lui reprochaient d'écrire toujours le même livre. 

Même lui était parfois fatigué de ressasser toujours les mêmes histoires. 


Un temps, Il avait eu à coeur de croire, qu'un jour, il en sortirait quelque chose, une vraie oeuvre. 

Il aimait tellement les mots. Il en avait fait une matière première, malaxant inlassablement son écriture, comme un sculpteur sa terre glaise.

Puis, auprès de ses lecteurs, il devenait contemplateur. "Je ne travaille pas seulement sur le roman mais sur celui qui le lit" déclarait-il, rejoignant enfin les autres après des mois de solitude. Il appréciait vraiment  leurs présences, comme un ascète qui se  nourrissait d'eux, avant de repartir dans le jeûne. 


Il cherchait, dans le lecteur, la main que le père tend à l'enfant. L'assurance que rien ne lui arrivera de grave, qu'il serait toujours là pour l'accompagner, parcourir la vie comme on traverse une rue, écartant tout danger à la ronde. 

La dernière femme, avec qui il avait partagé son quotidien, avait tenté d'en faire autant, mais très vite elle comprit qu'elle n'était pas de taille à lutter. 



"Tu n'aimeras jamais qu'elle! Cette pute te fera mourir" avait-elle crié avant de claquer des talons dans l'entrée et refermer pour la dernière fois la porte en sortant. Il s'était alors demandé de qui elle pouvait bien parler, tant sa fidélité était réelle.

Mais plus tard, il réfléchit à ce qu'elle avait voulu dire et lui donna raison : L'écriture est une maîtresse contre laquelle on ne peut rien. 



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