lundi 28 octobre 2013

Appétit

Pour la première fois, et parce qu'Antoine avait accepté de venir chez elle, Anne avait cuisiné pour lui.

Devant le four, il était venu se coller à elle, posant ses mains sur ses hanches.

La chaleur l'enveloppait de partout.

Il étira au dessus d'elle son bras droit. Puis il chipa un morceau du plat et le porta à la bouche.

-"Hummm, votre poulet est toujours aussi bon, ma tendre cuisse."

Quelqu'un d'extérieur à la scène aurait pu penser qu'il s'adressait à la volaille. Mais non, c'était comme cela qu'il aimait appeler Anne. Tendre cuisse.

Une fois encore, il avait dit la phrase, la seule qui soit signée Antoine. Tout de lui se résumait ainsi. 

Il avait ce que Daniel n'aurait jamais : les mots pour exprimer ce qu'ils étaient l'un pour l'autre, dans la continuité d'une vie.

Comme si elle avait toujours été là, pour cuisiner pour lui. Comme s'il avait toujours été là, pour la complimenter.

L'aidant à mettre la table, il la ramena à nouveau vers lui.

-"Tu sais pourquoi Daniel n'arrivera jamais à écrire convenablement sur l'intimité d'un couple ? C'est parce qu'il ne cherche pas au bon endroit. Notre intimité est précisément là, dans ce poulet chaud et rebondi. Lui ne sait écrire que sur des carcasses."

Antoine avait tout compris. C'est quand il y a de la vie qu'il faut se manifester, pas quand elle ne nous dit plus rien.


jeudi 24 octobre 2013

Aveu

Le détachement de Jouldé me fit énormément de bien. Je percevais nettement qu’il ne m’aurait pas apprécié, davantage trompant ma femme que cocu.

Nous parlions et il me servit un rhum vieux. Il l'avait sorti du tiroir de son bureau, accompagné de deux verres et d'un sachet de gâteaux apéritif.

-"Bois ça ! Le rhum c'est comme la rivière. Ce n'est jamais deux fois le même rhum qui coule dans ton verre."

Je n'en revenais pas qu'il ait de quoi s'enivrer sur notre lieu de travail. 

L'alcool aidant et pour satisfaire sa curiosité maladive, j'évoquais ma période métro-sexuelle.

Je finis par lui parler de ce que ma femme appelait le Cahier de Turin. Elle lui avait donné ce nom-là, parce qu'elle en avait découvert l'existence, lors de notre voyage de noce en Italie.

Je le fis d'ailleurs disparaître, dès notre retour à Bordeaux, avant qu'elle n'en examine le contenu. 

J'avouais à Jouldé ce qu'elle n'avait jamais réussi à savoir : Les scores de Scrabble d'une trentaine de femmes se trouvaient à l'intérieur.

Ce cahier m'avait simplement servi à vérifier, avec chacune des joueuses, qu'un mauvais score au Scrabble fait toujours un très bon coup au lit. 

Voyant que j'avais un peu honte de cet aveu, il me resservit un verre.

-"Ne t'en fais donc pas, David. Que celui qui n'a pas traversé, ne se moque pas de celui qui s'est noyé. Et puis les hommes mentiraient moins, si les femmes posaient moins de questions".

Jouldé était un professionnel des théories scabreuses toutes faites. Les mêmes que celles qui viennent s'étendre sur le zinc des bistrots.

Il poursuivit en parlant de ses nouveaux travaux sur la thérapie de la dépendance. 

En même temps, il continuait de boire allègrement, malgré les deux cachets de Baclofène qu'il venait de prendre. 

Alors que je quittais la pièce, prétextant mes heures de garde de la nuit, il clama : 

-"Mes confrères sont des ânes. Un bon médecin n'a pas de bonnes méthodes, il a juste les siennes."

Je n'allais pas le contredire. Ce soir, il venait de m'en donner une parfaite démonstration.















mardi 22 octobre 2013

Variation

On trouve plus de vie dans les excentriques que chez n'importe qui d'autre. Anne pensait cela d'Antoine.  

Tout s'était joué d'ailleurs, entre eux deux, autour de leurs blogs. 

Daniel ignorait, chez Anne, l'existence de cette addiction qui consistait à collectionner toutes les photos de chair de poule qu'elle trouvait. 

Une brochette de jambes de femmes, de bras d'hommes, des fesses, des ventres aussi, tout poil hérissé. 

A chaque nouvel article qu'elle postait, ses abonnés livraient leurs plus belles élucubrations, quant au déclenchement de la chair de poule en question. 

Elle s'en amusait beaucoup.

Antoine de son côté photographiait quotidiennement l'intérieur de son frigo, indiquant l'heure précise de l'ouverture de la porte. 

Les internautes venaient illustrer à leur tour le cliché, par des commentaires, aussi insolites que la photographie elle-même. 

Chaque soir, il était ainsi garanti de satisfaire à son besoin de rire.

Un jour, la porte du frigo resta close à l'écran, avec l'inscription "Fermeture pour cause de pluie". Anne décela immédiatement l'immense tristesse d'Antoine.

Elle posta à son tour sa chair de poule du jour : une pièce exceptionnelle, qu'elle conservait pour les grandes occasions. On y voyait une larme ruisselant sur un visage pigmenté de poils dressés.

Après quelques mails échangés, ils s'étaient écrit qu'il faudrait qu'ils se parlent. 

Alors, par téléphone, leurs bouches se parlèrent. Puis à leur première rencontre, ce fut leurs yeux. La rencontre suivante, leurs bouches échangèrent à nouveau, mais de plus près. Et enfin, un peu plus tard, leurs corps trouvèrent aussi des tas de choses à se dire.

Vint alors le temps des promesses. 

Elle lui fit promettre de ne jamais la questionner sur son passé. Il lui fit promettre de ne jamais plus lire de Duroy®. 








samedi 19 octobre 2013

Fatalité



Le bain dans cet hôtel avait eu l'effet d'un Eurêka sur moi. Je devais m'y résoudre : Les femmes partent toutes un jour.

Anne l'avait bien fait, après quinze années de mariage. 

Un homme lui tournait autour. Un journaliste littéraire qui frisait la soixantaine. Même sous le poids des signes avant-coureurs de la vieillesse, il avait l'assurance de séduire une femme jolie, attirante et sensuelle, prête à choisir un ailleurs qu'elle espérait meilleur. Anne, somme toute. 

-"Antoine est plus Rock'n'roll que toi. C'est ça qui te dérange ? Que quelqu'un soit plus quelque chose que toi? Daniel, dis moi... Cela te semble impossible, n'est-ce pas ?"

Je ne voulais pas répondre. Je cherchais surtout à ne rien oublier de ce que nous avions été l'un pour l'autre.


Je l'avais rencontrée pour la première fois, dans une librairie rennaise, alors que je dédicaçais mon dernier roman. Je la surpris en train d’apposer des post-it® sur des livres et décidai de la suivre.

Etant donné sa tenue, je compris vite qu’elle n’était pas une employée de l’endroit. Elle sifflotait, vêtue d'une robe de flamenca. On aurait dit qu'elle dansait au milieu des rayons, des papillons au bout des doigts. 

Devant une pile de livres consacrés au cinéma, je parvins à lire ce qu'elle venait de coller, inscrit au feutre rouge : "N’achetez pas ce livre". 

S'apercevant de ma présence, elle se retourna.

-"Il ne faut pas s’intéresser au cinéma, la vie est bien plus enrichissante. Je suis certaine que vous êtes d'accord avec moi."

Depuis cette phrase, j'avais été d'accord sur tout.  Il n'y a pas si longtemps, elle décidait encore des films que nous n'irions pas voir. Pour un nombre incalculable de sujets, je la suivais aveuglément.

Il n'y avait que dans notre chambre à coucher, que les rôles étaient inversés : c'était les yeux bandés qu'elle me livrait sa plus charnelle intimité.

Chaque Saint-Valentin, je lui offrais un jeu de post-it®, sur lesquels, je faisais imprimer de nouveaux arguments de non-vente. Cette année, elle avait eu le choix entre "Lire de la poésie rend fou" et "Merci au nègre qui a écrit ce livre".

Le dernier jour où je la vis, elle se préparait pour sortir seule. J'étais déchiré de regret alors qu'elle mettait du parfum dans ses cheveux, qu'un autre que moi viendrait humer bientôt.

Je pensai à voix haute :
-"Faut-il que tout s'arrête ainsi ?" 

Elle décida de la réponse à ma question, se saisissant de tous les post-it® qu'elle trouva dans l'appartement :
-"Faut-il que tout commence ainsi..." 









jeudi 17 octobre 2013

Duroy de France par Pierre-Emmanuel Godet

Il est beau "comme un astre" aurait dit ma Mère-grand. Un véritable Duroy Soleil.

Merci ! Merci infiniment Pierre-Emmanuel !!

Car vous auriez pu me répondre "y'a pas écrit La Poste". Mais vous fîtes tout le contraire. En cédant à mon caprice, en moins de 2 jours, vous m'offrez là mon Duroy, le seul sans doute que je lirai quotidiennement.


Tous droits réservés © 2013. Pierre-Emmanuel Godet
http://pagazine.com/





mercredi 16 octobre 2013

Bagatelle



Après plusieurs séances et malgré mes avances, Isabelle ne semblait pas saisir que je n’en resterai pas là. Alors qu’elle cherchait à s’installer pour soulever des poids, je lançais un "viens!" dans sa direction. 

Le vouvoiement entre nous vola en éclats. Mais elle résistait.

"Je ne tutoie que les personnes avec qui je couche, si vous voulez tout savoir."
"Chouette ! Il y a donc moyen d’arranger ça."

Sans qu’elle ait le temps de voir ma main s’emparer de sa taille, je la fis pivoter. Nous étions si proches que sa poitrine me fit tressaillir.

"Je peux t’embrasser ?"
"J’embrasse pas."

J’entrepris quand même de poser ma bouche sur la sienne. Elle entrouvrit ses lèvres et je sentis la caresse mystérieuse de sa langue sur mes dents. 

Son baiser était un petit miracle. Il me revint en mémoire ce proverbe espagnol : "Parler de taureau ce n’est pas comme être dans l’arène".
Il me faudrait du temps pour dompter l’animal que je venais de capturer. 

Dans un vertige horizontal, je lui fit sentir ma canne s’approcher de ses cuisses tel un sexe bandant. 
Le pommeau métallique lui donna des frissons au premier contact. Elle me laissa le passage libre en relevant sa jupe. J’écartais ses fesses et la griffais au creux des reins. 

Je la pénétrais de cet appendice lisse et froid. J’avais répandu des pétales de roses sur la table de massage, avant son arrivée. Ils venaient caresser ses seins et y déposaient une senteur délicate. La pièce dansait sous l’éclairage tamisé d’une bougie et Jacques Brel chantait les femmes comme j'aurais aimé parler d'elle. 

Le temps semblait suspendu à mes mains. J’aurais voulu qu’elle connaisse mon goût en bouche mais comme je continuais de manier ma canne, elle se cabra ruisselant de plaisir. 

Je posais une main sur ses lèvres, pour que le silence enveloppe toujours nos ébats. Elle engloutit mon pouce dans un dernier spasme de jouissance. Libérant un souffle chaud dans son cou, les yeux clos, je chuchotais pour la première fois son prénom.

A son départ, elle soupira :
"Va pour le tutoiement. Mais pour mon prénom, je préfèrerais que tu attendes un peu."

mardi 15 octobre 2013

J'ai fini mon Duroy®

Mes "négresses" ne font pas que lire Lionel Duroy pour moi, elles écrivent aussi.


I. La fleur bleue à propos de : "Le cahier de Turin"


"Surprise par la démarche de notre blogueuse, je suis ensuite séduite par son originalité.

Dérangée par une lecture qui m’est imposée, je suis ensuite séduite par le récit de cette rencontre aux dialogues savoureux, saisissants de réalisme qui retranscrit avec beaucoup de finesse et justesse la magie des premiers moments amoureux.

En colère contre cet homme idéalement installé dans une vie familiale qui, bien des années plus tard, s’obstine à trouver une explication à son bonheur jusqu’à le mettre en danger, je suis ensuite séduite par le mélange d’émotions qui raniment le temps d’une lecture notre propre histoire.

Mon seul regret : ne pas avoir eu, il y a 20 ans, l’idée de posséder un cahier ; le mien aurait été le cahier de Gaillac.

Post scriptum : Lionel Duroy, un jour je vous lirai…encore, sans aucun doute! Mais je ne vous rencontrerais jamais.

CCLP négresse rose."

Evidence


Tout Daniel Duroy tournait autour de Duroy. D'ailleurs on ne disait plus son prénom mais Duroy et rien d'autre.

Il était devenu comme une marque déposée. 

On disait : "T'as fini ton Duroy®" comme on aurait dit "Tu me prêtes ton Bic®?"

Cela aurait pu être le signe d'une certaine forme de réussite dans le métier, mais certains lui reprochaient d'écrire toujours le même livre. 

Même lui était parfois fatigué de ressasser toujours les mêmes histoires. 


Un temps, Il avait eu à coeur de croire, qu'un jour, il en sortirait quelque chose, une vraie oeuvre. 

Il aimait tellement les mots. Il en avait fait une matière première, malaxant inlassablement son écriture, comme un sculpteur sa terre glaise.

Puis, auprès de ses lecteurs, il devenait contemplateur. "Je ne travaille pas seulement sur le roman mais sur celui qui le lit" déclarait-il, rejoignant enfin les autres après des mois de solitude. Il appréciait vraiment  leurs présences, comme un ascète qui se  nourrissait d'eux, avant de repartir dans le jeûne. 


Il cherchait, dans le lecteur, la main que le père tend à l'enfant. L'assurance que rien ne lui arrivera de grave, qu'il serait toujours là pour l'accompagner, parcourir la vie comme on traverse une rue, écartant tout danger à la ronde. 

La dernière femme, avec qui il avait partagé son quotidien, avait tenté d'en faire autant, mais très vite elle comprit qu'elle n'était pas de taille à lutter. 



"Tu n'aimeras jamais qu'elle! Cette pute te fera mourir" avait-elle crié avant de claquer des talons dans l'entrée et refermer pour la dernière fois la porte en sortant. Il s'était alors demandé de qui elle pouvait bien parler, tant sa fidélité était réelle.

Mais plus tard, il réfléchit à ce qu'elle avait voulu dire et lui donna raison : L'écriture est une maîtresse contre laquelle on ne peut rien. 



lundi 14 octobre 2013

Confidences

Après qu'elle ait quitté son cabinet, David composa le numéro du pavillon Nord.

- "Est-ce que Jouldé est là ?"

L'infirmière transféra l'appel.

-"Salut ! Juste un truc, tu peux m'en dire plus sur Isabelle de l'Ordaget ?"

Devant la précipitation à vouloir des informations sur une patiente qu'il recevait à l'instant, son interlocuteur se fit moqueur.

-"Ah, je vois...La chèvre broute toujours là où son piquet est attaché. Pour être honnête, en te l'envoyant, j'étais certain qu'elle aurait les meilleurs massages de la planète terre".

Ce neurologue avait le sang chaud et la langue bien pendue. Il s'amusait à dire : "C'est pas parce que tu travailles sur le cerveau de tes patientes que tu ne dois pas t'intéresser aux autres parties de leur corps."  

En définitive, il parlait par expérience. Son environnement professionnel était un précieux terrain de chasse, de celles qu'il appelait ses gazelles.

-"N'imagine rien. Je veux juste savoir comment elle a atterri chez nous".

Reprenant les notes qu'il avait prises lors de ses consultations, et se rendant compte que quelqu'un du bloc avait laissé sa porte entrouverte, le médecin décida qu'il serait plus sage de le retrouver quelque part, pour en parler de vive voix.

En soirée, débarrassés de leur blouse et assis devant un café, Jouldé lui décrit le tableau clinique d'Isabelle.

-"Polytraumatisée avec des troubles mnésiques sévères. Tu vois, c'est du lourd."

-"Et tu es certain que personne n'est venu la voir pendant sa durée d'hospitalisation ?"

-"Oui, excepté l'avocate et la police pour leurs dossiers."

- Elle t'a troublé ?

- Pas exactement.

Jouldé se leva et vint lui taper sur l'épaule.

- Mais bien sûr...Prends moi pour un con !



dimanche 13 octobre 2013

Chaos

Sacha m'avait appelé alors que j'étais dans le train pour Le Mans.

Il faisait comme si de rien était, essayant de plaisanter sur ma condition d'écrivain. 

"Alors les rillettes Duroy vont comment aujourd'hui ?"

Il me savait en miettes, parti pour tartiner de la dédicace pour 24 heures, ce qui pour moi était toujours très éprouvant.

J'avais raccroché le coeur noué de n'avoir pu lui dire autre chose que "Prends soin de toi".

Je jetais l'éponge une fois de plus, trop encombré de ce rôle de père qu'il essayait de me faire endosser.

Arrivé à la gare, je postais le mot que j'avais pris soin d'écrire le matin même. Une lettre à mon psy.

"L'expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs" [Oscar Wilde]. J’ai fait l’expérience de ne pas venir en séance hier et je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Cependant, ne m’attendez plus. Je préfère en rester là avec la psychanalyse. Merci infiniment pour la richesse de nos rencontres."

J'avais hésité à mettre échanges à la place de rencontres. Mais n'est-ce pas précisément pour cela que je n'arrivais pas aller plus loin ? 

Et puis, aller plus loin, pour aller où ?



Je ne pensais parfois qu'à mourir. J'avais même imaginé comment mettre fin à mes jours. Le lieu était ce qui m'obsédait le plus.


Je crois que j'aurais choisi volontiers un cinéma. Parce que les cinémas sont des endroits chaleureux pour les âmes en perdition. Il suffit de fixer un écran. 

Un film comme La Ballade sauvage de Terence Mallick, nous plonge dans une autre vie, nous extrayant de la nôtre. 



J'aurais pu ouvrir les blisters, prendre un à un chaque comprimé de manière rythmé, à chaque plan de coupe. Il me suffirait de me laisser bercer par le bruissement des mâchoires de mes voisins de salle, amateurs de popcorns. 


Mais aujourd'hui, dans l'agitation des wagons, j'avais rêvé d'un lieu plus anonyme et moins fréquenté, comme la salle de bain de mon hôtel.


Une fois sur place, je me plongeais dans un bain bouillant. J'égrainais une à une toutes les pensées qui peuvent traverser notre esprit dans le passage à l'acte.

On laisse couler l’eau sur ce corps que l'on ne reconnait déjà plus depuis longtemps. On redécouvre cet élément qui a été notre premier lieu d’existence et nous nous y sentons a priori plutôt bien. 

Par association d’idées scabreuses, on pense à la genèse -"Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière"- en libérant la poudre de nos gélules qui ont une couleur attendrissante de dragées de baptême. 

On est surpris par la saveur de la mort qui a un goût amer en prise orodispersible. 


On a tort de croire qu’en attendant de mourir, on se repasse le film de sa vie. On porte notre attention sur des éléments bien moins spirituels. 

Il y a tout d’abord, ces lettres en gros caractères sur le flacon du shampoing, que l’on trouve disproportionnées tout à coup. 

Puis notre regard se fige sur une moisissure qui aurait mérité une bonne dose de javel. 

Enfin, on se demande si, par soucis d’économie, le médecin légiste ne va pas nous envelopper dans cet affreux rideau de douche, pour nous faire quitter les lieux post-mortem.

Heureusement, le temps semble s’écouler plus rapidement par le pommeau depuis que notre crâne a heurté le sol. Il est l’heure de fermer les yeux et d’attendre.

Je me demandais surtout si ce n'est pas une erreur grossière, de penser que l’on peut réussir sa mort, quand on a raté sa vie. On part forcément avec un handicap. 

Et quand on se loupe ?

Dans ce cas de figure, une âme charitable entre dans la salle de bain et nous ramasse. On le sait nos cheveux doivent être hirsutes et un filet de bave s'échappe sans doute de notre bouche pâteuse. On se dit qu’à notre naissance le liquide amniotique, sur nous, n’était pas si inesthétique. 

On peste intérieurement contre les notices des médicaments qui sont décidément très mal conçues. On regrette de ne pas avoir été performant en sciences et de ne pas avoir tenté médecine.  Cela nous aurait au moins évité un mauvais dosage des substances. 

On pense avec certitude, que le poulet basquaise surgelé est plus savoureux que les saucisses lentilles en boite.

On croit moins sérieusement que l’on est encore en vie et qu’il va falloir faire avec. 

J'aimais penser que mourir serait aussi simple que de partir acheter un paquet de cigarettes au coin de la rue, même si la femme qu'on aime nous crie : "Mais Chéri ! Tu as arrêté de fumer il y a quinze ans !" 

Finalement, devant tant de déconvenues imaginaires, je décidais de me laisser vieillir.











samedi 12 octobre 2013

Eblouissement


J'arrivais dans le parc de la Tour de Gassies ce jour là, quand on m'avertit qu'une nouvelle patiente m'attendait. 

J'étais en retard. Tandis que des corps ralentis par la douleur déambulaient sous les arbres, je me garais en toute hâte. Je déteste que la première impression que l'on ait de moi soit celle d'un homme pressé. Mais tant pis. Il était trop tard maintenant pour s'en inquiéter.

Je m'appelle David. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu être kiné. 

Ma devise est une citation de Tchekhov :"Je considère que l'état normal d'un homme est d'être un original." Elle est affichée dans mon cabinet et suscite souvent le tout premier sujet de conversation que j'ai avec mes malades. Et bien plus d'émotions finalement, que ce tableau couleur orages d'été que Catherine Barthélémy a peint pour moi.


Des patients, les routes meurtrières de France m'en amènent deux à trois par semaine. Inlassablement, je les accompagne à réinventer leur vie, après un drame.


Mais ce jour-là, le choc était pour moi. En moins d'une seconde, je ne sais pas pourquoi, je me suis dis en la voyant, assise dans la salle d’attente : cette femme est à moi. 



Sous le coup de cette belle évidence et malgré les différents adages "un homme marié est un homme fidèle" et "no sex in job", je m'approchais d'elle.



Du "suivez-moi, je vous prie" à "oh oui ! je vais te baiser comme une reine!", il n’y avait que quelques mètres, de la salle d’attente à ma salle de consultation.


Pourtant, face à moi, Isabelle refusa de me tendre la main.

Je n'y vis pas de sa part une muflerie féminine et j'aime d'ailleurs que l'on me résiste. 

Elle devait prendre de la morphine, comme tout le monde ici. Sa réaction était d'ordre chimique. Je connais bien cela. 



Je suis consommateur moi-même, depuis longtemps, à la suite d’un accident qui me fit perdre l’usage d’une de mes jambes. Depuis je claudique, canne en main. Cela fait, parait-il, tout mon charme.


Pour faire face et espérer être à armes égales avec elle, je décidais de lui parler de Talleyrand, le diable boiteux et de son échange avec une séductrice borgne.

"Comment marche les affaires ?" lui avait-elle dit. "Comme vous voyez!" avait-il répondu.


Je compris au rire qu'elle me renvoya, mettant une main sur un oeil, que nous allions vivre ensemble quelque chose de très fort.