dimanche 13 octobre 2013

Chaos

Sacha m'avait appelé alors que j'étais dans le train pour Le Mans.

Il faisait comme si de rien était, essayant de plaisanter sur ma condition d'écrivain. 

"Alors les rillettes Duroy vont comment aujourd'hui ?"

Il me savait en miettes, parti pour tartiner de la dédicace pour 24 heures, ce qui pour moi était toujours très éprouvant.

J'avais raccroché le coeur noué de n'avoir pu lui dire autre chose que "Prends soin de toi".

Je jetais l'éponge une fois de plus, trop encombré de ce rôle de père qu'il essayait de me faire endosser.

Arrivé à la gare, je postais le mot que j'avais pris soin d'écrire le matin même. Une lettre à mon psy.

"L'expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs" [Oscar Wilde]. J’ai fait l’expérience de ne pas venir en séance hier et je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Cependant, ne m’attendez plus. Je préfère en rester là avec la psychanalyse. Merci infiniment pour la richesse de nos rencontres."

J'avais hésité à mettre échanges à la place de rencontres. Mais n'est-ce pas précisément pour cela que je n'arrivais pas aller plus loin ? 

Et puis, aller plus loin, pour aller où ?



Je ne pensais parfois qu'à mourir. J'avais même imaginé comment mettre fin à mes jours. Le lieu était ce qui m'obsédait le plus.


Je crois que j'aurais choisi volontiers un cinéma. Parce que les cinémas sont des endroits chaleureux pour les âmes en perdition. Il suffit de fixer un écran. 

Un film comme La Ballade sauvage de Terence Mallick, nous plonge dans une autre vie, nous extrayant de la nôtre. 



J'aurais pu ouvrir les blisters, prendre un à un chaque comprimé de manière rythmé, à chaque plan de coupe. Il me suffirait de me laisser bercer par le bruissement des mâchoires de mes voisins de salle, amateurs de popcorns. 


Mais aujourd'hui, dans l'agitation des wagons, j'avais rêvé d'un lieu plus anonyme et moins fréquenté, comme la salle de bain de mon hôtel.


Une fois sur place, je me plongeais dans un bain bouillant. J'égrainais une à une toutes les pensées qui peuvent traverser notre esprit dans le passage à l'acte.

On laisse couler l’eau sur ce corps que l'on ne reconnait déjà plus depuis longtemps. On redécouvre cet élément qui a été notre premier lieu d’existence et nous nous y sentons a priori plutôt bien. 

Par association d’idées scabreuses, on pense à la genèse -"Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière"- en libérant la poudre de nos gélules qui ont une couleur attendrissante de dragées de baptême. 

On est surpris par la saveur de la mort qui a un goût amer en prise orodispersible. 


On a tort de croire qu’en attendant de mourir, on se repasse le film de sa vie. On porte notre attention sur des éléments bien moins spirituels. 

Il y a tout d’abord, ces lettres en gros caractères sur le flacon du shampoing, que l’on trouve disproportionnées tout à coup. 

Puis notre regard se fige sur une moisissure qui aurait mérité une bonne dose de javel. 

Enfin, on se demande si, par soucis d’économie, le médecin légiste ne va pas nous envelopper dans cet affreux rideau de douche, pour nous faire quitter les lieux post-mortem.

Heureusement, le temps semble s’écouler plus rapidement par le pommeau depuis que notre crâne a heurté le sol. Il est l’heure de fermer les yeux et d’attendre.

Je me demandais surtout si ce n'est pas une erreur grossière, de penser que l’on peut réussir sa mort, quand on a raté sa vie. On part forcément avec un handicap. 

Et quand on se loupe ?

Dans ce cas de figure, une âme charitable entre dans la salle de bain et nous ramasse. On le sait nos cheveux doivent être hirsutes et un filet de bave s'échappe sans doute de notre bouche pâteuse. On se dit qu’à notre naissance le liquide amniotique, sur nous, n’était pas si inesthétique. 

On peste intérieurement contre les notices des médicaments qui sont décidément très mal conçues. On regrette de ne pas avoir été performant en sciences et de ne pas avoir tenté médecine.  Cela nous aurait au moins évité un mauvais dosage des substances. 

On pense avec certitude, que le poulet basquaise surgelé est plus savoureux que les saucisses lentilles en boite.

On croit moins sérieusement que l’on est encore en vie et qu’il va falloir faire avec. 

J'aimais penser que mourir serait aussi simple que de partir acheter un paquet de cigarettes au coin de la rue, même si la femme qu'on aime nous crie : "Mais Chéri ! Tu as arrêté de fumer il y a quinze ans !" 

Finalement, devant tant de déconvenues imaginaires, je décidais de me laisser vieillir.











3 commentaires:

  1. à C&M : vous êtes contents ? J'ai réussi à caser un "finalement" dans mon texte ;) même si -entre nous- j'ai plutôt un faible pour les "quoi" :)

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  2. Sachant que quelque part et finalement l'accord parfait n'existe pas puisque 3/2 puissance 12 ne pourra jamais être égal à 2 puissance 7, essayons de trouver les battements pour une musique intérieure remplie d'harmonie. J'ai décidé, moi aussi, finalement de vieillir pendant très longtemps, quoi !

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  3. Mdr :) Alors si je comprends bien et finalement : c'est ton "tempérament (d'humeur) égal(e)" qui t'aide à bien vieillir ! ;)
    Biz à toi et Clûte !

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