dimanche 24 novembre 2013

Echange


J'avais essayé de freiner à l'approche du poids lourd mais il nous embarqua quand même, dans un froissement de tôle qui me vrilla les tympans. 

Je ne parvenais pas à voir la trajectoire que nous prenions. Les phares autour de nous m'aveuglaient. Suite au choc, notre vitesse ne cessait de croître.

Pourtant quelque chose nous arrêta. Et ce fût alors le silence, qui m'assourdit à son tour. 

L'odeur de l'herbe fraîchement coupée se mêlait à celle du métal en fusion. Je me sentis partir aux pays de mon enfance, à la campagne, dans l'atelier de mon grand-père, où la fraiseuse faisait jaillir mille étincelles. J'étais capable de rester là des heures. 

Un liquide lourd et chaud me fit très vite revenir à la réalité. Il recouvrait mes paupières et mes lèvres. Il ne pouvait pas s'agir de mon sang. Je connais son goût pour saigner fréquemment du nez. 

Aussi je compris que nous avions tous été projetés à l'avant dans l'habitacle et que nous n'étions plus vraiment trois corps mais un seul : une sorte de monstre à 3 têtes. 

J'entendis la tête à ma droite respirer fort, alors que celle à ma gauche était inerte et ensanglantée. Une nouvelle catastrophe se dressait devant moi : J'étais vivant mais le coeur de celle, pour laquelle battait le mien, s'était arrêté.

Une larme creusa un sillon brûlant sur ma joue. Je tremblais. Il y a rien de plus fort que de voir la femme qu’on aime nous quitter, sans rien pouvoir faire. C’était si épouvantable que je m’efforçais de lui tourner le dos.


Le visage de sa soeur me faisait face. Je parvins enfin à saisir son regard de mes paupières collées. Elle caressa ma joue, du plat de sa main, comme pour me remercier. Je sentis son alliance écraser ma larme avant qu'elle ne s'évanouisse. 

Je pris cela pour un signe. Je me mis à prier, à haute voix : "Donnez-moi, mon Dieu, ce qu'il vous reste. Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi. Car vous seul donnez ce qu'on ne peut obtenir que de soi."

Et puis je fis l'impensable. Très vite. Dans la douleur mais sans aucune peur. Je retirai l’anneau de son doigt. 

Je saisis ensuite la main de ma femme et mis cette bague à son annulaire. Je l’unis, dans la mort, à un autre que moi. 

J'embrassai son front comme elle aimait, une dernière fois. Je pensais que je ne serais désormais plus jamais le même homme et ma femme plus tout à fait la même femme.

A mon réveil à l'hôpital, je crus un instant que j'avais rêvé, lorsque l'on me demanda : "Pouvez-vous nous dire le prénom de votre épouse ?"

1 commentaire:

  1. Certains sauront d'où vient ton avatar, d'autres se poseront la question... Moi, je sais.
    Ceci dit, j'ai les méninges en ébullition !!! Il faut que je me remette dans la "pseudo" autobiographie de L.D, pour comprendre le cheminement ?? Ou bien que je poursuive le nouveau livre entamé qui me ramène à mes sources "le suspens" ??

    RépondreSupprimer