lundi 11 novembre 2013

Enjeu

Jouldé avait pour nom de famille Chabrol.

Il avait longtemps fait croire qu'il avait été adopté par le réalisateur. Il disait aussi que son grand-père paternel, pharmacien, l'avait mis sur la voie de la médecine.

Son mensonge ne surprenait plus personne, surtout pas à la Tour de Gassies.

Il y avait orchestré son arrivée à l'aide d'une mise en scène extraordinaire : il s'était fait passé pour hémiplégique et avait intégré une unité de soins intensifs, pour voir comment elle fonctionnait.

C'était à ce prix qu'il avait pu imposer ses nouvelles méthodes thérapeutiques, au corps médical en place.

Equipé de six ordinateurs portables et d'un abonnement à World of Warcraft, il avait monté une guilde nommée "Handicap à l'Ouest" et formée de patients de son étage.

Quelques semaines plus tard, ses cinq compagnons d'infortune ne rechignaient plus à suivre leurs séances de kinésithérapie. Ils abandonnaient même leur déprime pour progresser, tant en jeu que dans la vie réelle.

Récemment, Jouldé avait décidé de montrer sa collection d'avatars à l'aide de photographies exposées dans le hall de son service. A chaque tirage était associé un cliché du patient à qui l'avatar appartenait, mais également ses scores en jeu. Tous ces résultats étaient présentés comme autant de publications scientifiques prestigieuses.

Il ne supportait pas que l'on assimile le handicap à la maladie. Il mouchait quiconque le lançait sur ce terrain. En cela, la Tour de Gassies était devenue son champ de bataille favori.

Devant cette nouvelle provocation, un confrère neurologue l'interpella dans le couloir : 
-"Croyez vous sérieusement que vous guérissez vos malades, Professeur Chabrol ?" 
- "Croyez-vous sérieusement qu'ils le soient ?" répondit-il.

Comme Isabelle arrivait au même moment, elle applaudit Jouldé de ses deux mains. Devant son air ému, elle s'approcha de lui et chuchota à son oreille :
-"Il faut m'excuser mais pour le bras d'honneur, j'ai encore un peu de mal".







2 commentaires:

  1. L'ambiguïté est un point commun avec ... Où est le vécu, où est la fiction ? Comme femme d'un Jouldé (mdr), je ne crois que l'on puisse intégré un service de soins intensifs pour une hémiplégie, mais plutôt un service de rééducation fonctionnelle !!! Par contre je retrouve bien là mon "Jouldé" dans l'approche du patient. Mdr

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  2. Oulala...je sens arriver à grand pas un bagatelle n°2!!!

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