dimanche 17 novembre 2013

Compagnie


Pour éviter de voir mon agent débouler chez moi, je lui avais dit que je me rendais à une course cycliste dans l'après-midi. 

-"Daniel, je t'assure, tu n'as pas besoin d'aller voir des vélos pour voir de la pédale. Tu ne bouges pas de là. J’arrive et je t'emmène manger".

J'avais hésité à l'appeler au départ d'Anne mais il avait fini par le savoir. Tout finit toujours par se savoir dans notre milieu.

Et on ne pouvait rien lui cacher, surtout qu'il était curieux comme une belette. Il jouait les vraies mères avec moi et ses phrases commençaient toujours pas "Tu devrais...", et "Pour toi, le mieux serait de...". 

Je sentais qu'il allait me dire que c'était une aubaine. Que mon oeuvre était ainsi garantie de se poursuivre, dans la douleur mais aussi dans l'écriture. Je crois surtout qu'il me tenait ainsi à distance, tant la jalousie de son compagnon de l'époque était féroce et que cela lui devenait pénible avec tous ses auteurs masculins.

Le jeune homme était publicitaire, tout n'était que slogans entre eux. Il l'appelait même en public "Polo, mon chéri le plus trou". La grande classe.

Cet après-midi là, il arriva sans Tony dans sa décapotable mais je vis à l'arrière qu'il avait un chien avec lui. 

- "T'as le bonjour d'Alfred", dit-il en le faisant venir à moi.

Alfred était un bouledogue malodorant qui avait l'air de suivre notre conversation sans en perdre une miette, bavant même de plaisir.

Nous partîmes du Trocadéro pour Conflans. Paul y avait ses habitudes. Il adorait m'amener à la Taverne à moules, prétendant que c'est précisément dans une assiette qu'il préférait les déguster. 

Nous avions fini de manger lorsqu'il sortit d'une chemise cartonnée un document. C'était l'impression écran qu'il avait fait d'un blog.

-"Point besoin d'être mathématicien pour avoir une inconnue qui vous trotte dans la tête. Ce blog sur toi m'inquiète, je me demande bien qui est cette femme, ce qu'elle te veut."


Je lus brièvement sans y accorder vraiment d'importance. Une allumée me décrivait et faisait lire mes livres à d'autres. Rien à voir avec la lettre. Je ne pensais qu'à elle d'ailleurs. On pouvait tout dire sur moi, tout. Mais la lettre... 

Je tâtais l'intérieur de ma veste à sa recherche pour la caresser comme j'aimais le faire souvent, je ne la sentis plus.

Des sueurs froides me saisirent. Paul s'en rendit compte.

- "Ne t'en fais pas, il y a suffisamment de bons papiers sur toi en ce moment, pour que cette fêlée passe inaperçue".

Alors que je regardais au sol pour voir si la lettre n'était pas là, Alfred se rapprocha de moi pour me renifler la main. Je constatais qu'il mâchouillait ardemment du papier. Je vis le timbre disparaître dans sa gueule tandis qu'il rota bruyamment.

Je décidais finalement de lui caresser la tête. Comme nous étions deux à présent à digérer les mots qu'elle contenait, je me sentais enfin moins seul.

5 commentaires:

  1. Votre compagnie est délicieuse en ce dimanche. Quel talent !
    Pas un adverbe de trop ! Ce Marc, qui cherchait un vieux cahier, il se shootait aux adverbes ! Dans mes quelques notes au bord du cahier :
    probablement, seulement, quasiment, sûrement, subitement, parfaitement, outrageusement, légèrement, simplement, tristement, désespérément, objectivement, immédiatement, miraculeusement !
    En fait, il aime tous les mots en ment : c'est son élément, sentiment, étonnement, enchantement, frémissement, inassouvissement ! (sic)
    I can't get no ! ...
    Eloignons-nous des ment ...
    Vade retro ...
    Restez simple et directe, chère amie,

    Clûte

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  2. Si "You can't get no", alors je "satisfaction"...!
    Je vais suivre vos conseils et rester simple (d'esprit, oui j'y arrive "parfaitement" en me concentrant bien) et directe (du gauche, c'est "sûrement" possible avec certains de droite).
    Mes hommages Clûte et mes amitiés à Flarinette.

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  3. "qu'il rotait" peut-être...

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  4. si vous voulez Anonyme, "rotait" plutôt que "rota". Tant que vous ne me proposez pas "rôtissait" ou "rôtit". Pauvre Alfred !

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  5. Et sa conscience, son forfait accompli, était encore en parfaite santé qu'il pétât de bonheur ?

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